« Lorsque l’enfant paraît, le cercle de famille applaudit à grands cris » et l’enfant,
« sans le comprendre encore », regarde le monde,
« laissant errer sa vue étonnée et ravie. » Personne mieux que Victor Hugo ne pouvait trouver
les mots parfaits
pour décrire la joie des nouveaux parents, et l’immensité du monde qui
s’offre à la vue et à la compréhension future du tout jeune enfant.
Avant que les merveilleux projets formés par les parents pour leur
progéniture ne se réalisent, avant que la formule de Kipling
« Tu seras un homme, mon fils » n’approche la réalité, beaucoup de
« Si » auront
laissé leur empreinte dans l’existence des parents et des enfants.
Parmi eux, celui de l’instruction scolaire, symbole de la préparation de
l’avenir et de l’acquisition de l’autonomie de faire et de penser.
Au-delà des familles, la préparation de
l’avenir à travers l’enseignement est également un sujet d’importance
pour les pays, ce qui les amène à y consacrer de lourds budgets. En
France, l’éducation est nationale et représente aujourd’hui le
premier poste
de dépense de l’Etat. Dans le budget voté pour 2016, 66 milliards
d’euros sont consacrés à l’Education nationale et 23 milliards d’euros à
l’enseignement supérieur et la recherche, soit 24 % des 375 milliards
d’euros que l’Etat
dépensera au total cette année.
Personne ne remet en doute l’impérieuse
nécessité de préparer nos enfants à leur vie d’adulte tant sur le plan
personnel que professionnel et culturel. Il y a par contre débat sur la
façon d’y parvenir au mieux. Les enquêtes sur le niveau des élèves dont
on dispose au niveau international,
PISA
par exemple, attestent avec une belle régularité d’un déclassement
français, aussi bien en mathématiques qu’en sciences et en compréhension
de l’écrit. Aussi, avec la même régularité, chaque nouveau gouvernement
nomme un nouveau ministre de l’Education nationale qui y va de sa
nouvelle réforme sur le contenu des programmes, les découpages entre les
cycles d’apprentissage, les filières d’orientation et les recrutements
de professeurs. De réforme en réforme, le problème reste entier.
Alors que la ministre actuelle, Najat
Vallaud Belkacem, n’est pas en reste de bouleversement des rythmes
scolaires, de cure d’amaigrissement des programmes, de recommandations
pour des notations « non traumatisantes », de recrutement massif de
professeurs et de mesures plus clientélistes à vocation électorale comme
l’enseignement de l’arabe dès le CP, il me semble intéressant de se
pencher sans préjugé sur les méthodes qui marchent, et à quel coût pour
les parents ou la collectivité.
Dans son numéro du 11 au 17 juin 2016, l’hebdomadaire britannique The Economist a
fait une revue de plusieurs études très approfondies ayant porté sur de
nombreux pays et des milliers d’élèves et professeurs. Il en ressort
dans l’ensemble que « ce qui marche », loin de correspondre aux demandes
récurrentes des parents et à certaines revendications classiques des
syndicats d’enseignants, repose essentiellement sur la haute capacité à
enseigner des professeurs, et donc forcément sur leur formation
spécifique d’enseignant.
Le graphique ci-contre (cliquer pour agrandir), extrait de l’article de The Economist,
liste différentes mesures plus ou moins classique des politiques
éducatives, et donne en bleu leur niveau d’efficacité au regard des
performances scolaires, et en orange leur niveau de coût (plus il y a de
dollars plus c’est coûteux).
Il en ressort que les mesures que les
parents adorent, telles que classes à effectif réduit (très chères car
il faut recruter beaucoup de professeurs), port d’un uniforme, ou
classes de niveau n’ont pas ou peu d’impact sur ce que les élèves
apprennent. La vraie différence va se faire sur l’expertise enseignante
du professeur. Dans l’étude complète réalisée à l’université de
Melbourne (Australie), il apparaît que les 20 meilleures façons
d’améliorer l’apprentissage scolaire se passent en classe et dépendent
entièrement de ce que le professeur fait ou ne fait pas.
Dans une autre étude menée à l’université
de Stanford (Californie, USA), les chercheurs ont évalué que pendant
une année scolaire, les élèves qui avaient bénéficié de l’enseignement
d’un professeur faisant partie du dernier décile en terme d’aptitude à
enseigner (90 à 100 %, c’est à dire les « meilleurs » professeurs)
avaient appris la valeur des enseignements d’une année et demi. A
l’autre bout de l’échelle, les élèves encadrés par des professeurs du
premier décile (0 à 10 %) n’avaient appris que la valeur d’un demi
programme. Les auteurs concluent leur étude en disant qu’aucun autre
critère que celui de la compétence des enseignants n’a de près ou de
loin un impact aussi important sur les résultats scolaires.
Ils soulignent également que dans la
mesure où les familles aisées ont les moyens de compenser les manques
d’un mauvais professeur, le fait de bénéficier en classe, notamment dans
le primaire, de l’enseignement d’un bon professeur aura une influence
considérable sur les résultats des enfants des familles les plus
pauvres, et constitue de fait la meilleure façon d’éliminer le facteur
« pauvreté » de l’équation scolaire. Sur ce point spécifique, une étude
de l’université de Harvard (Boston, USA) indique que si les enfants
américains noirs recevaient l’enseignement des professeurs classés dans
le top 25 % en terme d’expertise enseignante, l’écart de résultats
observé entre les blancs et les noirs pourrait être comblé en huit ans.
Un professeur très doué pour enseigner
est donc la clef première de la réussite scolaire. Comment trouver de
tels enseignants ? C’est toute la question, et elle débouche sur celle
de la formation des professeurs. On a tendance à penser que telle
personne « est faite » pour enseigner et que telle autre n’a pas du tout
le caractère pour cela. Le « bon prof » serait en quelque sorte porteur
d’un gène spécifique. Le travail des chefs d’établissement consisterait
donc à rechercher ces personnes, en leur proposant éventuellement de
meilleurs salaires, et à se débarrasser des autres, jugées moins performantes.
Mais là encore, on voit bien que le choix des critères sera
déterminant. En réalité, la capacité enseignante résulte moins d’un
talent inné que d’une formation spécifique adaptée qui ne peut faire
l’impasse de la salle de cours.
Tout se passe entre les élèves et le
professeur. Les techniques très courues actuellement, qui consistent
souvent à complimenter les élèves sans raison, à les laisser découvrir
des notions complexes « par eux-mêmes », à les encourager dans leur
propre style d’apprentissage, ne fonctionnent pas. L’enseignant doit
transmettre du savoir et de la réflexion critique à ses élèves et il
doit en permanence leur poser des questions qui les obligera à réfléchir
à ce qu’ils sont en train d’apprendre. Selon une enquête de
l’université UCLA (Californie, USA), les professeurs américains posent
surtout des questions à base de « qu’est-ce qui ? » ou « qu’est-ce
que ? » qui ne demandent qu’une mémorisation du cours, tandis que les
professeurs japonais interrogent plus à partir de « comment ? » ou
« pourquoi ? » afin de s’assurer que les élèves comprennent ce qu’ils
apprennent.
Ce genre de compétence professorale n’a
aucune chance de s’acquérir dans les cours de sciences de l’éducation,
où l’on discute savamment des avantages et des inconvénients des
pédagogies de l’auto-structuration vs l’hétéro-structuration, où l’on
parle éco-pédagogie, conscientisation des élèves, progression spiralaire
et référentiel bondissant, sans aucun effet notable sur les
performances scolaires. Quant aux performances des enseignants n’en
parlons surtout pas, c’est tabou.
Alors que dans d’autres professions, un
nouveau venu encore tout frais de ses études se verra d’abord confier
des tâches simples qui se complexifieront progressivement, on attend
d’un professeur qu’il soit au meilleur niveau dès son premier jour
d’enseignement. De ce fait, la seule formation véritablement efficace se
passe dans la salle de classe et doit correspondre aux méthodes « qui
marchent ». Tout comme les étudiants en médecine passent par la phase
« internat » avant d’être des médecins à part entière, les futurs
professeurs doivent avoir la possibilité d’être confrontés aux élèves et
de développer leurs techniques enseignantes avant de prendre la charge
effective de leur première classe.
Le métier d’enseignant possède par
ailleurs deux particularités qui compliquent les possibilités d’en
améliorer la formation. Ce métier se pratique « porte close »,
caractéristique à laquelle les syndicats d’enseignants tiennent
beaucoup. C’est une erreur au regard des possibilités d’amélioration des
capacités enseignantes. La confrontation pratique avec d’autres
professeurs, un regard extérieur, ainsi que l’évaluation rétrospective
de la façon dont un cours s’est déroulé sont des éléments extrêmement
utiles pour progresser et devenir un professeur encore meilleur.
De plus, c’est une profession dans
laquelle l’espoir d’accéder à un niveau supérieur, et donc à un meilleur
salaire, se fait non pas dans l’approfondissement de ses talents de
professeur, mais en quittant la salle de classe, en s’éloignant
complètement des élèves, pour prendre en charge des responsabilités
administratives telles que préfet de niveau ou chef d’établissement. Un
profond changement de mentalité concernant les rémunérations serait le
bienvenu pour redonner à l’enseignement toutes ses lettres de noblesse.
Les
ministres de l’éducation, les parents d’élèves et les syndicats
d’enseignants, trop préoccupés de procéder à des réformes « qui se
voient » ou trop facilement séduits par la pédagogie théorique actuelle
qui prône de mettre l’élève au centre de son apprentissage, ont tendance
à privilégier des changements structurels coûteux associés à des
méthode enseignantes inefficaces.
Le retour à
la salle de classe, l’importance de toujours stimuler les élèves et les
interroger sur ce qu’ils sont en train d’apprendre, ainsi que la
formation des maîtres en ce sens, est une méthode peu coûteuse par
rapport aux dépenses d’éducation actuelles. Là où elle est appliquée (en
Asie, par exemple) ses bénéfices sur l’instruction des élèves sont
particulièrement significatifs.